Beit Gazo

Centre de recherche et de conservation du Patrimoine des Eglises d'Orient

Auteur/author: Amélie Couvrat Desvergnes

Bien que le manuscrit Syriaque 59, une grammaire datée du 18ème siècle soit une ouvrage d’étude, le livre n’en reste pas moins fascinant de par son décor et ses enluminures. L’ouvrage appartenant à la Bibliothèque Orientale de l’Université Saint Joseph de Beyrouth a été confié au centre Beit Gazo pour sa restauration qui s’est déroulée en octobre 2023. Ce projet a été l’occasion d’étudier de plus près les matériaux, encres et couleurs, utilisés pour la copie du texte et l’élaboration de son décor. Bien que le livre ne contiennent pas d’encre dorée, ce qui pourrait signifier un ouvrage de luxe, la richesse de ses enluminures et la qualité de l’écriture laisse cependant supposer que le livre avait été crée par un scribe éclairé et talentueux.

Although the Syriac manuscript 59, a grammar dating from the 18th century, is a work of study, the book is no less fascinating for its decoration and illuminations. The volume, which belongs to the Oriental Library of Saint Joseph’s University in Beirut, was entrusted to the Beit Gazo Centre for restoration, which took place in October 2023. The project provided an opportunity to take a closer look at the materials, inks and colours used to copy the text and execute the illumination. Although the book contains no gold ink, which might indicate high patronage, the richness of the illuminations and the quality of the writing nevertheless suggest that the book was created by an enlightened and talented scribe.

LES ENCRES D’ECRITURE/THE WRITING INKS

Comme à l’accoutumé, le texte fût copié à l’encre noire alors que des passages et mots importants ainsi que des signes de ponctuation furent inscrits à l’encre rouge. Cette alternance de noir et de rouge apporte du rythme visuel à la composition des pages manuscrites et permet également de guider le regard du lecteur à travers la théorie grammaticale du texte.

As was customary, the text was copied in black ink, while important passages, words and punctuation marks were written in red ink. the text was copied in black ink, while important passages, words and punctuation marks were written in red ink. This alternation of black and red adds visual rhythm to the composition of the handwritten pages and also helps to guide the reader’s eye through the grammatical theory of the text.

De rares études ont été réalisées sur l’identification et la composition des encres dans les manuscrits Syriaques. Toutefois une importante publication recense les recettes historiques découvertes dans des manuscrits datés du 9ème au 19ème siècles, recettes qui nous permettent de comprendre les procédés de préparation de ces média ainsi que les matériaux mis en œuvre (Manuscripta Syriaca, des sources de première main 2015). Celles-ci font état de l’utilisation de nombreux extraits végétaux, animaux et minéraux incorporés dans les encres, cette diversité résultant certainement de la disponiblité et de l’accessibilité des matériaux au niveau local.

Few studies have been carried out on the identification and composition of inks in Syriac manuscripts. However, an important publication reports the historical recipes discovered in manuscripts dating from the 9th to the 19th centuries, recipes that enable us to understand the preparation processes for these media as well as the materials used (Manuscripta Syriaca, des sources de première main 2015). These show the use of numerous plant, animal and mineral extracts incorporated into inks and paints, with this diversity certainly resulting from the availability and accessibility of materials at a local level.

En ce qui concerne le manuscrit Syriaque 59, l’encre est dense, épaisse et contraste avec la blancheur du papier. Le test de batophénantroline qui détecte la présence d’ions Fe 2+, a révélé que celle-ci est une encre ferro-gallique, résultant de la réaction d’un tannin végétal (le plus souvent la noix de Galles) avec du sulfate de fer ou de cuivre, le tout mélangé à un liant.

In the case of the Syriac manuscript 59, the ink is dense and thick, contrasting with the whiteness of the paper. The batophenantroline test, which detects the presence of Fe 2+ ions, has revealed that this is an iron gall ink, resulting from the reaction of a vegetable tannin (most often gallnut) with iron or copper sulphate, all mixed with a binder.

Détail de l’encre ferro-gallique employée pour le texte.

La plupart des recettes répertoriées dans les manuscrits Syriaques fait état de la prédominence des encres métallo-galliques au détriment des encres au carbone. Ceci dénote une influence occidentale forte alors que l’Asie et le monde oriental en général favorisaient les encres au carbone. Des analyses scientifiques ont démontrées son utilisation dans des peintures de livres datant des 6ème et 7ème siècles (Aceto and al. 2022). Cependant, la plus ancienne recette retrouvée date du 10ème siècle (British Library BL Add. 14 644, Desreumaux 2015, p. 181). Plusieurs ingrédients sont employés pour sa fabrication : les tannins comme la noix de galle verte, la racine de calligone, l’écorce de grenade, la myrte, le vin alors que les composés métalliques sont le vitriol vert, le vitriol de Chypre ou simplement une pièce de fer.[1] Le liant est le plus souvent la gomme arabique parfois remplacée par le blanc d’œuf ou la sève de figuier (Desreumaux 2015, p.182).


[1] La calligone ou Calligonum comosum l’Hér est un arbuste qui pousse dans les zones désertiquesde la zone saharo-sindienne et en Egypte. Ses feuilles servent d’agent tannant. Myrtle ou Myrtus communis L., les feuilles et l’écorce sont utilisés comme tannins (Boutrolle & Daccache 2015, pp. 250, 256). Le Vitriol bleu, de Chypre, ou de Vénus est un sulfate de cuivre. 

Most of the recipes recorded in Syriac manuscripts shows the predominance of iron gall inks to the detriment of carbon inks. This indicates a strong Western influence, whereas Asian and Eastern scribes favoured carbon inks. Scientific analyses have demonstrated its use as early as the 6th-7th centuries (Aceto et al. 2022). Nonetheless, the oldest recipewas found in a manuscript dating from the 10th century (British Library BL Add. 14 644, Desreumaux 2015, p. 181). Several ingredients are used in its manufacture: tannins such as green gallnut, calligone root, pomegranate bark, myrtle, and wine, while the metallic compounds are green vitriol, Cyprus vitriol or simply a scrap of iron. The binder is usually gum Arabic, sometimes replaced by egg white or fig sap (Desreumaux 2015, p.182). [1]


[1] Calligonum comosum l’Hér is a bush which grows in the desert areas of the Sahara-Sindian region and in Egypt. Its leaves are used as a tanning agent. Myrtle or Myrtus communis L., the leaves and bark are used as tanning agents. (Boutrolle & Daccache 2015, pp. 250, 256). The Cyprus, Venus or blue vitriol is a copper sulphate.

Calligonum comosum l’Hér
Noix de Galles vertes
Myrtus communis L.,
Vitriol de chypre, source: Alamy Banque d’Images

Une des recettes les plus détaillées est contenu dans le manuscrit Syriaque 180 de la Bibliothèque Nationale de France. Elle est en garshuni au 19ème siècle. Calligraphié, selon le colophon, par Elie l’Etranger, elle se termine par un calligramme.

 Ayant confiance en Dieu, on prend de la noix de galle verte qui soit sans trou. Ensuite casse-la en deux moitiés ou bien même tu la fends. Ensuite prends-en une mesure dans un récipient ou dans une dame-jeanne; puis verse sur la mesure de la noix de galle cinq têtes d’eau et mets-y un peu de myrte et un peu d’écorces de grenade acide. Ensuite mets-la (la préparation) au soleil pendant trois jours. Ayant fait une unité de mesure avec une tige de bois, après les trois jours, prends la pige de mesure et verses-y l’eau jusqu’à ce qu’elle arrive à l’encoche. Ensuite, mets-la (l’eau) sur le feu jusqu’au moment où elle soit réduite du tiers. Après cela, retire-la et égoutte-la en la mettant dans un autre vase de capacité convenable, comme la première fois; mets-la sur le feu et allume par dessous un feu doux, jusqu’au moment où elle soit réduite du tiers. Ensuite, retire-la du feu et égoutte-la comme la première fois. Ensuite, mets-y de l’eau jusqu’à l’encoche (de la pige) et mets-la sur le feu jusqu’au moment où elle soit réduite de plus du tiers; ensuite retire-la et filtre-la comme la première fois. Et après cela, attends, mon frère, que Dieu tout-puissant t’aide et t’assiste. Ensuite apporte (l’eau) filtrée que tu as extraite et concasse le vitriol de Chypre et parsème(-le) sur (l’eau) filtrée; mais (l’eau) filtrée ne doit être ni chaude ni froide mais comme de l’eau bouillonnante.

Et parsème petit à petit et écris jusqu’au moment où la couleur te plaise; et laisse-la une heure sur le vitriol, ensuite prépare-lui un liant dans une dame-jeanne et installe devant celle-ci une autre dame-jeanne afin que le liant coule de la dame-jeanne d’en haut à celle d’en bas, jusqu’au moment où le vitriol devienne sec. Après cela, mets-la (la préparation) au soleil et, un jour, pile-la, ensuite mets-la dans une bouteille, mais protège-la de la poussière.

Ensuite, après cela, garnis-en l’encrier

et écris avec et chaque fois qu’elle vieillit

elle devient meilleure dans l’encrier

et fermentée

et après cela

prie pour

le pauvre

Élie

l’étranger

et ceci

est ce que

nous avons trouvé

de la part

des savants

et gloire

à Dieu

seul.

Traduction: Daccache & Desreumaux, 2015.

One of the most detailed recipes is encountered in the Syriac manuscript 180 from the Bibliothèque Nationale de France. It is written in garshuni in the 19th century. According to the colophon, it was penned by Elijah the Stranger and ends with a calligram.

Having trust in God, we take green gallnut which is without hole. Then break it into two halves or even split it. Take a measure in a container or in a dame-jeanne; then pour five heads of water onto the measure of the gallnut and put in a little myrtle and a little sour pomegranate rind. Then put it (the preparation) in the sun for three days. Having made a unit of measurement with a wooden rod, after the three days, take the measuring rod and pour the water into it until it reaches the notch. Then put it (the water) on the fire until it is reduced by a third. After that, take it out and drain it, putting it in another vessel of suitable capacity, like the first time; put it on the fire and light a low heat underneath, until it is reduced by a third. Then remove it from the heat and drain it like the first time. Then, put water in it up to the notch (of the rod) and put it on the fire until it is reduced by more than a third; then take it out and filter it like the first time. And after that, wait, my brother, may God Almighty help and assist you. Then bring (the filtered water) that you have extracted and crush the Cyprus vitriol and sprinkle (it) on (the water) filtered; but the filtered (water) should be neither hot nor cold but like boiling water.

And sprinkle it little by little and write until the colour pleases you; and leave it for an hour on the vitriol, then prepare a binder for it in a dame-jeanne and place another dame-jeanne in front of it so that the binder flows from the dame-jeanne above to the one below, until the vitriol becomes dry. After that, put it ( preparation) in the sun and, one day, pound it, then put it in a bottle, but protect it from dust.

Then, after that, fill the inkwell with it

and write with it and each time it gets old

she gets better in the inkwell

and fermented

and after that

pray for

the poor

Elijah

the stranger

and this

we have found

from

Geniuses-

and glory

farewell

alone. 

Translation: Daccache & Desreumaux, 2015.

La recette d’encre métallo-gallique décrite dans le manuscrit Syriaque 180 de la Bibliothèque Nationale de France, F. 202v.

L’encre noire du manuscrit Syriaque 59, ne présente pas de dégradations caractéristiques des encres metallo-galliques, à l’exception d’un léger halo brunâtre qui a migré dans le papier par endroits. Le test de batophénantroline a également démontré que l’encre brune employée pour les illustrations est une encre ferro-gallique. Celle-ci fut appliquée en lavis avec des rehauts pour les parties plus foncées. Le verso (F.84v.) du folio enluminée avec une grande rosace peinte dans les tons bruns (F.84r.) présente un transfer de cette encre ainsi qu’une très légère corrosion brunâtre.

The black ink used for the Syriac manuscript 59 does not show the degradation characteristic of iron gall ink, with the exception of a slight brownish halo that has migrated into the paper in some places. The batophenantroline test has also shown that the brown ink used for the illustrations is an iron gall ink. It was applied as a wash with highlights for the darker parts. The verso (F.84v.) of the folio illuminated with a large rosette painted in brown tones (F.84r.) shows a transfer of this ink as well as very slight brownish corrosion.

Léger halo brunâtre autour du tracé de l’encre métallo-gallique.
Migration de l’encre brune au verso de la page de la rosace (F.84v.), manuscript Syriaque 59, Bibliothèque Orientale.

Si au début, les textes étaient uniquement écrits en noir, l’utilisation d’encre rouge apparait dès le 5ème siècle (A. Desreumaux 2015) d’abord pour certains mots puis pour la mise en page plus élaborée. Dans le manuscrit 59, l’encre rouge vive qui tend vers l’orangé n’a pas pu être identifiée scientifiquement, toutefois son aspect et sa couleur laisse supposer qu’elle est de nature inorganique, probablement du vermillon. Différentes recettes détaillent effectivement la production du vermillon dans le monde chrétien oriental. Le minium (tétroxyde de plomb), le réalgar (sulfure d’arsenic) et l’ocre rouge étaient également fabriqués et utilisés.

Although at first the texts were written solely in black, the use of red ink appeared as early as the 5th century (A. Desreumaux 2015). Rirst for some words and then for more elaborate page layouts. In the manuscript 59, the bright red ink, slightly orangey, has not been scientifically identified, but its appearance and colour suggest that it is inorganic, probably vermilion. Various recipes detail the production of vermilion in the Eastern Christian world. Minium (lead tetroxide), realgar (arsenic sulphide) and red ochre were also produced and used.

Detail de l’encre rouge.
Close-up of the red ink.

Outre deux recettes d’encre metallo-gallique, le manuscrit 66 du fonds Rahmani de la Bibliothèque du Séminaire de Charfet comporte sur le dernier feuillet, , deux notes très succintes sur la fabrication des encres rouges sans donner de détails techniques.

‘’Cinabre, céruse et gomme et écris’’.

‘’Minium, cinabre et gomme’’.

Traduction: Daccache & Desreumaux, 2015, p. 203

In addition to two recipes for metallo-gallic ink, the Manuscript Rahmani 66 in the Charfet Seminary Library (Leabnon) contains on the last folio, two very brief notes on the manufacture of red inks without giving any technical details.

‘’Cinnabar, ceruse and gum and write’’.

‘’Minium, cinnabar, gum.’’

Translation: Daccache & Desreumaux, 2015, p. 203

Les recettes d’encres métallo-galliques et d’encres rouges dans le manuscrit Rahmani 66 de la Bibliothèque du Séminaire de Charfet (Liban), dernier folio.

Une encre rouge-bordeaux a aussi été employée pour certains mots et marques de ponctuation. En comparaison avec l’encre rouge épaisse décrite ci-dessus, sa texture fluide laisse penser qu’il pourrait s’agir d’une encre organique.

A burgundy ink was also used for some of the words and ponctuation marks. Compared with the thick red ink described above, its fluid texture suggests that it could be an organic ink.


Detail de l’encre bordeaux.
Close-up of the burgundy ink.

Les textes anciens mentionnent divers ingrédients pour la confection de cette encre colorée. Par example, le manuscrit Mingana 77 datant du 19ème siècle décrit les deux recettes suivantes :[1]

‘’Autre (de couleur) de bordeaux. On prend du vin rouge un mithqâl, du vert de gris un mithqâl, de l’indigo du poids d’une graine, de la céruse un dirham, de la gomme arabique pareillement’’.

‘’Autre (de couleur) de bordeaux. Broie des feuilles d’anémones, presse leur jus et expose-le au soleil jusqu’à réduction de moitié. Ecris avec. Ensuite, sèche-les (les feuilles) et concasse-les comme la farine. Si tu veux écrire, prends de l’eau de gomme pure, répands-la sur cette anémone moulue et fouette-la avec la gomme. Ecris.’’ [2](Daccache & Desreumaux, 2015, p. 217).


[1]  La collection Mingana est preservée à la Bibliothèque de Recherche Cadbury de l’Université de Birmingham. The Mingana collection is held by the University of Birmingham’s Cadbury Research Library.

[2] Les feuilles d’anémone proviendraient de la plante Adonis estivalis L. ou Adonis annua L. (Boutrolle & Daccache 2015, p.249).

Ancient texts mention various ingredients for making this coloured ink. For example, the 19th century Mingana 77 manuscript describes the following two recipes: [1]

‘’Other (colour) burgundy red. one mithqâl of red wine is taken, one mithqâl of verdigris, the weight of a seed of indigo, one dirham of ceruse, and gum arabic for the same amount ».

‘’Other (colour) burgundy. Crush anemone leaves, squeeze their juice and expose it to the sun until reduced by half. Write with it. Then dry them (the leaves) and grind them like flour. If you want to write, take some pure gum water, pour it over this ground anemone and whisk it with the gum. And, write with it.’’ [2](Daccache & Desreumaux, 2015, p. 217).


[1] The Mingana collection is held by the University of Birmingham’s Cadbury Research Library.

[2] Anemone leaves are thought to come from the plant Adonis estivalis L or Adonis annua L. (Boutrolle & Daccache 2015, p.249).

Toutefois Mauricio Aceto dans une étude parue en 2022 a identifié que dans un corpus de manuscrits médiévaux datant des 13 et 14ème siècles, produits en Iraq, Turquie et Syrie et appartenant aujourd’hui à la Bibliothèque Nationale de France et à la Bibliothèque Vaticane, la couleur carmin-bordeaux est principalement obtenue à partir la cochenille asiatique Lac (kerria lacca) provenant d’Asie du Sud. Ceci illustre le commerce de ce matériau à l’époque médiévale et son utilisation les livres chrétiens orientaux.

However, in a study published in 2022, Mauricio Aceto has identified that in a corpus of medieval manuscripts dating from the 13th and 14th centuries, produced in Iraq, Turkey and Syria and now belonging to the Bibliothèque Nationale de France and the Vatican Library, the carmine-bordeaux colour is mainly obtained from the Asian cochineal Lac (kerria lacca) from South Asia. This illustrates the trade in this material in medieval times and its use in Eastern Christian books.

Évangiles selon la version héracléenne, c.1192, Turkie, BNF, département des manuscrits, Syriaque 54, F.7v. Certains encadrement circulaires sont peints à l’encre bordeaux-violette. Gospels according to the Heraklian version, c. 1192, Turkey, BNF, Department of Manuscripts, Syriaque 54, F.7v. Some of the circular frames are painted in burgundy-purple ink.

Les couleurs des enluminures/The colours of the illuminations

Même si les couleurs furent appliquées en aplats souvent de façon irrégulière et parfois grossière, il n’en reste pas moins que le copiste du manuscrit Syriaque 59 fit preuve d’un talent certain dans l’association des différents motifs et couleurs ainsi que d’une hiérarchisation dans l’emploi des encres colorées. Par exemple, on observe que pour la page de frontispiece qui inclut Isaac, métropolite de la ville d’Amid, les couleurs sont vives et riches, alors que dans les pages à composition géométrique comme celles comportant des rosaces, les couleurs sont plus simples et plus diluées et la palette se limite aux tons bruns et orangés. De façon générale la gamme de couleur employé par le copiste est réduite et comporte cinq couleurs : brun, rouge, vert, bleu, et rouge bordeaux. On observe l’absence de jaune, de l’or et de couleurs issues de mélange. Le rouge, le bordeaux et le brun sont vraisemblablement les mêmes encres que celles employées pour l’écriture mais diluées afin d’être facilement appliquées en aplat.

Even if the colours were applied in flat washes, often irregularly and sometimes crudely, the fact remains that the copyist of the Syriac manuscript 59 demonstrated a certain talent for combining different motifs and colours, as well as a hierarchy in the use of coloured inks. For example, in the frontispiece page, which includes Isaac, Metropolitan of the city of Amid, rich and vivid colours were used, whereas in the pages with geometric compositions, such as those featuring large rosettes, the colours are simpler and more diluted, and the palette is limited to brown and orange hues. Generally speaking, the range of colours used by the copyist is reduced to five: brown, red, green, blue and burgundy red. Yellow, gold and mixed colours are absent. The red, burgundy and brown are probably the same inks as those used for writing, but diluted so that they can be easily applied in washes.

Page de frontispiece montant Isaac, métropolite de la ville d’Amid, F.3v.
Grande rosace F.2v.

Après un examen approfondi à l’œil nu et au microscope USB Dinolite, il semble que les illustrations et enluminures ont été réalisées avec des encres soit appliquées en lavis soit en couche épaisse, en fonction du rendu souhaité.

After close examination with the naked eye and the USB Dinolite microscope, it emerges that the illustrations and illuminations were produced using inks applied either as a wash or in a thick layer, depending on the desired effect.

Le bleu est sombre et appliqué soit en lavis dilué comme pour le remplissage des oiseaux soit en couche épaisse et couvrante.

The blue is dark and is applied either as a diluted wash, as for filling in the birds, or in a thick, covering layer.

Lavis dilué de couleur bleu sombre. Image Dinolite 52x.
Motifs d’oiseaux marginaux peints en lavis bleu.
Encre bleue appliquée en aplats épais et sombres, les traces laissées par le pinceau étant bien visibles.
Encre bleue appliquée en aplats plus ou moins dilués laissant percevoir le mouvement du pinceau sur le papier.

Les recettes historiques mentionnent la confection d’encre bleue à partir d’indigo et du vert-de gris auxquels étaient ajoutés d’autres composés en fonction de la couleur et de la couvrance souhaitées. La plupart du temps, de la céruse, un carbonate basique de plomb, était ajouté comme opacifiant.

Le manuscrit Mingana 77 décrit les recettes suivantes :

‘’On prend un tiers de dirham de vert-de-gris de Homs, un dirham de céruse, de la gomme pareillement’’.

‘’ Autre couleur de bleu profond. On prend trois dirham d’indigo, un mithqâl de céruse, de la gomme pareillement’’.

(Daccache & Desreumaux, 2015, p. 216).

Le manuscrit Mingana 314 (19ème siècle) décrit : ‘’Composition du bleu foncé. On prend de l’indigo et du kohl, de chacun une portion, et du vert-de gris une portion. On les broie finement et on les concasse dans la gomme.’’ (Daccache & Desreumaux, 2015, p. 219).[1]


[1] Le kohl est un collyre contenant des substances minérales et végétales comme les sulfures d’antimoine et de plomb. Il est sans doute employé pour assombrir un encre et lui donner de la profondeur.

Historical recipes mention the making of blue ink indigo and verdigris, to which other compounds were added depending on the desired colour and coverage. Most of the time, ceruse, a basic lead carbonate, was added as an opacifier.

The Mingana 77 manuscript describes the following recipes:

 »A third of a dirham of verdigris from Homs, a dirham of ceruse and gum are taken. »

 »Another deep blue colour. We take three dirham of indigo, one mithqâl of ceruse, gum as well. »

(Daccache & Desreumaux, 2015, p. 216).

The Mingana Manuscript 314 (19th century) describes: « Composition of dark blue. We take indigo and kohl, one portion of each, and one portion of verdigris. They are finely ground and crushed in gum. (Daccache & Desreumaux, 2015, p. 219).[1]


[1] Kohl is an eye collyre containing mineral and vegetable substances such as antimony and lead sulphides. It is probably used to darken ink and give it depth.

Cependant, Aceto, dans son étude, a récemment mis en évidence la prédominance de l’outremer dans le groupe de manuscrits du 13e et du 14e siècles décrits plus haut (voir image de droite, BNF Syriaque 40). En outre, il affirme que la présence de lapis-lazuli s’explique par la proximité géographique des mines de Badakhsan (aujourd’hui en Afghanistan) et par la richesse des mécènes qui commanditaient ces livres. Bien plus tôt encore, il a démontré que les pigments bleus présents dans le manuscrit Syriaque 341 de la BNF, une bible rédigée en Irak au 6-7e siècle, ont été identifiés comme étant du lapis-lazuli, de l’azurite et de l’indigo. Cela met en évidence le commerce précoce de pigments précieux et leur utilisation dans les livres chrétiens orientaux dès l’Antiquité.

However, Aceto, in his study, has recently highlighted the predominance of ultramarine in a aforementioned group of manuscripts from the 13th and 14th centuries (see right-hand image, BNF Syriaque 40). He also claims that the presence of lapis lazuli can be explained by the geographical proximity of the Badakhsan mines (now in Afghanistan) and by the wealth of the patrons who commissioned these books. Much earlier still, he demonstrated that the blue pigments present in the BNF’s Syriac manuscript 341, a bible written in Iraq in the 6th-7th century, have been identified as lapis lazuli, azurite and indigo. This highlights the early trade in precious pigments and their use in Eastern Christian books from Antiquity onwards.

Bible et Ancient Testament, 6-7ème siècle, Iraq, BNF, département des manuscrits, Syriaque 341, F.8r.
La Sainte Croix, Évangiles, c. 1190, Syrie, BNF, département des manuscrits, Syriaque 40, F.8r.

La couleur verte a été employée pour les illustrations et enluminures du manuscrit Syriaque 59. En certains endroits, le vert a été appliqué en couche épaisse qui s’est craquelée avec le temps.

The colour green was used for the illustrations and illuminations in the Syriac manuscript 59. In some places, the green has been applied in a thick layer that has cracked over time.

Ornement marginal en forme de noeud peint à l’encre verte et orange.
Texture lacunaire de l’encre verte employé pour le remplissage de rosace F.2v. Image Dinolite 52X.

Peu d’ouvrages décrivent la fabrication d’encres vertes. Cependant, les recettes citent principalement l’utilisation du vert-de-gris comme ingrédient de base auquel viennent s’ajouter d’autres substances. Par exemple, le manuscrit Mingana 77 (19ème siècle) décrit le procédé suivant : ‘’Prends un tiers de dirham de vert-de-gris, un dirham de safran, un dirham de céruse et de la gomme pareillement’’. (Daccache & Desreumaux, 2015, p. 215).

Plus loin dans le même ouvrage on lit : ‘’Encre verte. Vert-de-gris de couleur verte et du jus d’ail acide’’. (Daccache & Desreumaux, 2015, p. 220).

Le manuscrit Sachau 107 datant du 19ème siècle dit : ‘’Composition du vert. On prend du vert-de-gris et on le concasse, de la gomme blanche (qu’on concasse) pareillement avec du jus de noix de galle, puis on verse un peu de kohl et on écrit’’. (Daccache & Desreumaux, 2015, p.220).[1]


[1] Staatsbibliothek, Berlin, Syr.189.

Few manuscripts describe how green inks were made. However, the recipes mainly mention the use of verdigris as a basic ingredient to which other substances were added. For example, the manuscript Mingana 77 (19th century) describes the following process: « Take a third of a dirham of verdigris, a dirham of saffron, a dirham of ceruse and gum as well ». (Daccache & Desreumaux, 2015, p. 215).

Further on in the same work, we read:  »Green ink. Verdigris of green colour and garlic juice  » (Daccache & Desreumaux, 2015, p. 220).

The manuscript Sachau 107 dating from the 19th century reads: « Composition of green colour. Take some verdigris and grind it, white gum (which we crush) similarly with iron gall juice, then pour a little kohl and write. (Daccache & Desreumaux, 2015, p.220). [1]


[1] Staatsbibliothek, Berlin, Syr.189.

References

Aceto Mauricio and al. 2022 Between West and East: a non-invasive study of colourants on Syriac manuscripts. Colour and Colorimetry. Multidisciplinary Contributions. Vol. XVII A, Proceedings of the 17th Color Conference, edited by Andrea Siniscalco.

Boutrolle Philippe et Daccache Jimmy. 2015. Lexique commente: les végétaux, les animaux et les minéraux des recettes d’encres en syriaque et en garshuni. Manuscripta syriaca, des sources de première main edited by Francoise Briquel Chatonnet and Muriel Debie. Paris: Geuthner, pp. 247–270.

Daccache Jimmy et Desreumaux Alain. 2015. Les textes des recettes d’encres en syriaque et garshuni. Manuscripta syriaca, des sources de première main, edited by Francoise Briquel Chatonnet and Muriel Debie. Paris: Geuthner, pp. 195–246.

Desreumaux Alain. 2015. Des couleurs et des Encres dans les manuscrits syriaques. Manuscripta syriaca, des sources de première main, edited by Francoise Briquel Chatonnet and Muriel Debie. Paris: Geuthner, pp. 161–193.

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